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Les dits de dames
7 décembre 2008

La chatte manquante

Je vois bien qu’elle est triste, sans cesse elle me cherche du regard, là où je ne suis pas. Machinalement, sa tête se tourne vers la fenêtre sale de mes pattes boueuses et revient brutalement vers ce qui l’occupait à l’instant, je ne suis pas là. Elle descend de la voiture à la nuit tombée et croit entendre ma voix dans l’obscurité glacée, puis hausse les épaules, résignée. Parmi les multiples soupirs exhalés dans la nuit, c’est ma chanson qu’elle guette et le bruissement de mon corps contre le portail ; un sanglot, encore un soupir, ce sera tout. Ce soir, elle heurte l’assiette posée à terre et considère songeuse la tasse à demi remplie qui l’accompagne ; elle rince le tout et range dans le placard ce qui lui semble inutile.

 

Elle frappe son crâne contre le mur de la maison, les deux poings encadrant son visage. Elle marmonne toute seule des mots impossibles et durs, elle redresse le menton puis enfouit son visage dans son écharpe. Ses épaules s’affaissent, son dos se creuse puis se voûte, elle a mal.

 

Je ne peux pas lui assurer mon pardon car je n’existe plus que dans sa mémoire. C’est le trait de contour de ma silhouette qu’elle perçoit en se forçant, trait imaginaire lui chatouillant le coin de l’œil et la faisant me chercher là je ne suis pas.

 

Je ne peux pas non plus lui promettre un prompt apaisement, qui suis-je donc pour prétendre être le grand consolateur ? Je suis celle qui gît désormais dans le fond du jardin et mes pouvoirs s’arrêtent à ce tertre discret qui lentement s’affaissera avec les années.

Je suis la noire, la gourmande, la griffue, la ronronnante, la pétrisseuse des petits matins, la gueule bicolore, le dos rond et la queue rapide. Je suis ses neuf ans passés, ses souris offertes du matin et du soir, son chauffe genoux à la télévision allumée, son coup de tête écartant la main versant le lait, son garde du corps du jardin arpenté, ombre silencieuse et fidèle accompagnée. Je suis les pleurs brûlants qui bouillonnent sur ses joues comme vous la considérez inquiets, je suis le gris qui occupe le ciel aujourd’hui et demain aussi. Je suis le plomb qui sourd de son cœur vers l’estomac, les nouvelles commissures tombantes de sa bouche, le rouge qui redessine le contour de ses yeux et la taie qui voile l’éclat habituel de son regard.

 

Car.

 

L’espace que j’occupais est vacant.

 

Ce matin, je suis morte pour une goutte de lait.

Lhanne - 7 décembre 2008

 

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Commentaires
D
Il ne faut pas avoir honte d'afficher son désespoir, sa colère. Tu es si sensible, l'artiste. Et c'est si bien écrit. Mon épaule virtuelle est là si tu veux. Un jour, que j'appréhende, mon ombre à quatre pattes me laissera son vide. Et ma douleur répondra à ta douleur. Domlic
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