Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Les dits de dames
4 avril 2009

Chambre 114

 

Allongée de travers sur mon lit, je fixe un point invisible sur le mur qui me fait face. Je donne l’impression d’être à la merci d’un vague à l’âme, mais il n’en est rien. Je suis là, accrochée à la vie, tenace comme une tique.

Ce sont tes yeux fermés à double tour qui ont heurté mon indifférence d’alors, lorsque nous nous sommes croisés la première fois. Tu avais la tête tournée vers le mur comme pour fermer tout dialogue possible.

Ta fine chemise bleu ciel te couvrait à peine le torse me laissant rêveuse sur le reste de ton corps, quant à moi, l’ancienneté me donnant le net avantage sur le choix vestimentaire : c’est une légère chemisette à bretelles qui m’habillait ce jour-là.

Je n’ai pas cherché le contact. La rage qui t’habitait était suffisamment forte pour balayer les meilleures intentions du monde.

Depuis, tous les jours que le bon Dieu fait, je m’embusque à chaque coin jouxtant les couloirs avec l’espoir que tu achoppes mon regard. Je suis devenue la sentinelle qui veille sur ton sommeil, le sniper qui guette la fenêtre de tir, la louve inquiète qui rassemble sa portée. Je campe auprès de ton corps immobile sans jamais te toucher. Parfois, quand des larmes perlent au bord de tes paupières, j’avance la main pour les recueillir et... je m’abstiens.

 

Pas ta permission.

 

Je m’invente alors des histoires de souffle déplacé par mes doigts près de ton visage et que tu percevrais, des caresses voletant au ras de la crête de ton bras et que tu sentirais, d’ébouriffage imaginaire de mèches rebelles sur le haut de ton crâne au repos, mais non. Il n’en est rien.

 

C’est pourtant toi que je désire, à m’en faire trembler le ventre.

 

Toutes ces nuits et tous ces jours durant lesquels tu es désormais endormi me font tour à tour désespérer et espérer. Je me sens tantôt comme les sept nains à veiller sur toi, tous les sept à la fois ou bien seul Grincheux doublé de Simplet ; et, je m’imagine aussi comme la princesse Charmante qui se pointerait, tranquille, juchée sur sa blanche haquenée afin de te réveiller avec un french kiss du tonnerre. Quand l’imaginaire reprend ses droits, mon charmant personnage grincheux se laisse aller à être Simplet éperdu d’amour, je t’invoque du plus profond de ton abîme, je te somme d’être enfin mon éveillé, celui dont les lèvres s’arrondiraient pour mieux répondre à mon appel. Je te secoue de paroles indignées te réclamant à mes côtés, fier, viril et présent. J’ai pour toi mille impatiences ordonnant à ton corps de se lever, nimbé de lumière jaune d’argent, les plis de ta tunique couleur pourpre dévoilant à peine tes orteils en verre antique, tes mains offertes rehaussées de sanguine, tu serais mon plus beau vitrail.

 

Tu dors.

Mais je serai là tout à l’heure, dans un mois, une année, mille ans.

Quand tu te réveilleras.

 

Et si tout ce que je t’ai dit appartient à ton rêve et s’enfuit à peine tes paupières ouvertes, si tu me regardes en fronçant les sourcils comme surpris de me voir campée si près de ton lit, nous aurons toutes les nuits du monde pour que je t’apprenne à être toi.

 

Lhanne – avril 2009

Publicité
Commentaires
Les dits de dames
Publicité
Publicité