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Les dits de dames
9 août 2009

Instance de départ (1)

Hier comme aujourd’hui, pour oublier celui que je ne peux aimer je suis seul par choix, seul depuis toujours me semble t-il ; mais je viens, à l’instant, de faire une incursion sur ton territoire.

 

Je devine ton corps caché dans les plis des draps en pagaille. Le coton est éclatant de blancheur sous la lumière impitoyable du matin. Je te regarde, tu m’émeus.

Je t’ai attrapé hier tard dans la nuit, tu dansais seul, les yeux fermés, agrippant un verre vide et poisseux. Les gens se serraient fort sur la piste, en couple ou seuls et tu dansais au milieu d’eux avec des images dans la tête. « Danser » n’est peut-être pas le terme qui convient pour l’étrange pas de deux que tu t’obstinais à exécuter, tête en arrière, bras écartés en croix, plaçant tes pieds en quinconce et à tour de rôle sur un losange imaginaire. Ton rythme n’était pas très rapide, entêtant je dirais. D’autres que toi dansaient seuls, mais ton silence quand ils braillaient m’interpella. Je venais d’essuyer, une fois de plus, le discours verbeux d’un imbibé collant qui aurait bien voulu, malgré l’alcool, me mettre dans son lit, quand je t’ai aperçu. Je me suis approché de toi, j’ai touché ta main qui errait dans l’espace près de tes cheveux et tu as ouvert immédiatement les yeux.

Je pense que le verre vide à ta main était le seul que tu bus ce soir là, car tes yeux étaient aspirants comme un trou noir dans la galaxie. Nous n’avons pas dansé ensemble, tu n’as pas dit un mot, tu m’as regardé.

C’est ce même regard que je guette ce matin.

 

Et te voilà dans le lit que j’ai quitté tout l’heure. Je viens de parcourir le rez-de-chaussée de ta maison à la recherche de café et je reviens vers toi.

Cette nuit nos corps se sont mêlés en aveugles, nos bouches se sont heurtées avec fracas, chacun a étreint l’autre de ses bras énergiques comme désespéré de tant d’amour à donner et rien à recevoir jamais. Pas un mot n’a jailli, juste ces étreintes absolues, ces bras enserrant fort à la manière d’une accolade fraternelle comme encouragement donné. Nous avons roulé sur ton lit comme deux gladiateurs affamés et nos larmes sincères se sont fondues en un cours d’eau rapide et surprenant.

Ce sont tes pleurs et les miens échangés et cette gamine de dix ans à peine venue me surprendre dans ta cuisine qui me font décider de rester.

 

Elle est à mes côtés en pyjama, bien réveillée, même pas surprise d’avoir trouvé un inconnu en caleçon dans sa maison et déjà je sens sa main qui cherche la mienne. Je m’écarte, elle se rapproche. Résigné, j’attends debout près du lit que tu te réveilles.

« Papa », dit-elle, et tu te dresses à l’instant. Tes yeux passent de l’un à l’autre et un sourire démarre sur un coin de ta bouche : nous formons un étrange tableau tous les trois. Ne manque plus qu’un chat ou un chien, à la rigueur, pour achever l’œuvre ! Toi, mon amant, nu dans ce lit tout blanc, ne laissant apparaître la moindre culpabilité ; ta fille, si je comprends bien, te dévisageant avec la simplicité naturelle des enfants, impatiente déjà de la suite à venir et moi, piétinant discrètement sur place, moi qui attends.

 

La suite ? C’est dans tes yeux que je l’ai trouvée.

Tu as tendu les bras et ta fille est venue se lover contre ton buste, un gros bisou du matin et hop ! Direction le programme TV des enfants avec passage obligatoire à la cuisine pour pêcher un bol de lait et des céréales qu’elle dévorera devant la télévision.

Puis, c’est à moi que tu tends les bras une nouvelle fois. Ton sourire s’élargit ensoleillant tout ton visage, tes yeux enclavent les miens, resserrant leur prise fermement comme une jointure bien soudée. J’hésite à venir, alors tu te lèves et nous faisons ensemble le pas qui nous réunit. Tu m’embrasses apaisé et je te rends ce baiser. Je devine la vie qui revient dans mon cœur et mes pensées nouées de chagrin relâchent enfin leur prise obscure.

Le temps, grand consolateur, est là. Il scrute notre chemin tout neuf. Nous partons.

Lhanne - Nov 2008

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