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Les dits de dames
5 janvier 2013

Histoire d'Andrée (2)

Andrée fut mon professeur dans les années lycée, lorsque je m’ouvris aux études, ayant enfin trouvé une orientation qui convenait à l’élève rêveuse que j’étais. Mes parents desespérés m’avaient traînée au CIO de Paris où la conseillère ainsi requise déclara d’une voix péremptoire qu'au vu de mes très faibles moyennes en matières scientifiques je devrais m’orienter dans une section artistique, puisque cette enfant aime dessiner.

Mes parents, soulagés d’une angoisse sans nom, m'inscrivirent dans le lycée de Sèvres en région parisienne, aujourd'hui rebaptisé lycée Jean-Pierre-Vernant, pour lequel j’accumulais plus d’une heure et demie de transport et deux trains pour m’y rendre. Merci aux cieux cléments qui m’offrirent une scolarité intelligente, des professeurs, pour certains de la vieille école, avec de vraies valeurs et un savoir-faire passionné et d’autres plus jeunes, et animés d’énergie enthousiasmante. Heureuses année.

En classe de première, en plus des multiples heures dédiées au dessin sur toutes ses coutures (dessin d'observation, étude documentaire, création, modèle vivant, design, anatomie artistique...) l’option déterminante ayant été choisie, j’entamais un quota d’heures allégé à l'atelier céramique. Le référentiel ayant changé depuis les années 70, mon professeur avait dû se résigner à laisser dans les armoires les pots d’émaux ainsi que deux formidables tours en bois. Les uns prenant la poussière et les autres nous regardaient d’un air renfrogné à chaque fois que nous ouvrions, en gamins curieux que nous étions, les portes de l’armoire reléguée...

Je découvris en Andrée une enseignante pas comme les autres. C’était une grande femme, aux cheveux poivre et sel noués en chignon sévère, vêtue d’amples vêtements aux couleurs automnales. L’hiver elle portait un grand manteau vert chasseur sombre, en tweed probablement, une sorte de houppelande qui la couvrait comme un fantôme sorti des terres des Baskerville. Elle semblait parfois s’excuser de nous demander d'oeuvrer à nos tâches, tout en ayant une sorte de magie pour se faire respecter et tenir un ordre dans son grand atelier. Celui-ci était sis au dernier niveau du vaste bâtiment qui abritait l’ensemble des sections artistiques. Je fus toujours étonnée de la voir si bien se débrouiller avec nous, énième ramée d’élèves entre ses mains attentives, et j’enviais les années passées qui l’avaient vues à la tête de brillantes promotions, construisant, par exemple, un four tunnel à même le flanc de la colline d’en face, un four à l’ancienne, de quoi me faire repartir dans les rêves ; ces mêmes années qui avaient pu bénéficier de la formation tournage et émaillage.

Andrée me fascinait par son habileté pédagogique mêlée d'une foi en nos capacités qui me désarmait. Elle réussissait par miracle à nous faire travailler, louvoyant à travers nos marmonnements ou autres phrases peu aimables et nous conduisant, vers le diplôme de fin de cycle.

Andrée, chère Andrée, qui s’étonnait d’un rien, nous obligeant donc à réviser sans cesse notre comportement, tant son optimisme et son bon vouloir faisait rougir les plus paresseux d’entre-nous. Etrange, non ? De n’avoir pas plus que cela envie de tromper cette femme pour les gamins que nous étions alors ?

Andrée que je trompais quand même, sculptant à même le pain de terre, me refusant à empiler des colombins selon les techniques en vigueur. Je n’avais pas l’esprit frondeur, non, disons plutôt que la sculpture, l’appréhension du volume dans sa masse m’attirait dans son immédiateté et que je n’avais cure des méthodes traditionnelles pour créer un pot. Dès qu’elle avait le dos tourné, j’attaquais la terre, creusant sans vergogne tout en respectant une épaisseur constante et un vide d’air nécessaire à une cuisson pérenne. Lorsqu’elle nous dictait des cours sur l’histoire de la céramique, je décorais les marges de mes feuilles de croquis reprenant les documents qu’elle faisait circuler. Elle s’en émouvait, je restais perplexe. En moi une affection grandissante pour ce professeur si particulier s’installa durant ces années. Et je vis combien elle m’appréciait à la façon dont elle défendit mon travail lors de l’examen. Mon choix d’orientation post Bac avait de quoi étonner l’examinateur, du monde des céramistes je passais pour celui des verriers. Opacité contre transparence... quel dilemme !

Après les jours d’examen, Andrée m’invita chez elle pour je ne sais plus quel prétexte et je rencontrais son mari. Je découvris en eux ce que je recherchais depuis mon enfance : un couple qui s’aimait et qui se respectait. Un couple sans enfant, sans un mot de trop, avec du rire dans l’intonation lors des désaccords, un couple de gens érudits, curieux de tout, passionnés et vivant leurs centres d’intérêts comme si leur vie en dépendait. Nous fûmes amis immédiatement. Je passais des soirées en leur agréable compagnie durant des années. Leur maison à Paris étant devenu un havre de paix et de charme sans nom pour la gamine affamée que j’étais. Leur habitation leur ressemble, il s’agit d’une des dernières fermes parisiennes (deux petits bâtiments rectangulaires ventrus et trapus se faisant face avec une courette au milieu). Ils avaient réussi l’exploit de repenser et de construire tout l’intérieur, créant ainsi et habitation et double atelier. Nous mangions dans des assiettes en céramique, évidemment, et tout était orienté vers leur amour pour l’Asie, son art subtil et vers le monde de la céramique, bien entendu.

D’eux, j’ai en moi, profondément et à jamais, ancré un amour pour la céramique utilitaire ou purement artistique. Depuis mes années lycée, je me suis dotée peu à peu d’ustensiles ou autres en terre émaillée, je n’ai de cesse que de découvrir et de me laisser emporter par l’émotion face à un objet bien pensé par un céramiste. Je suis exigeante et sans appel dans mon regard, mais lorsque j’achète, j’adopte. Aucune spéculation dans mes achats. De l’amour plutôt.

Si je devais me retrouver un jour face à l’examinateur qu’il fallut convaincre de mon orientation vers le monde des verriers, je lui dirais aujourd’hui que ces deux mondes sont avant tout complémentaires, les deux sont couleur dans un premier temps, et si l’un est plat (vitrail) l’autre est toutes formes confondues et c’est une belle union que de voir les deux accolés !

Andrée, Michel son mari et moi-même sommes toujours amis. Ils furent à leur corps défendant mes parents de substitution. Et aujourd’hui comme hier, c’est leur mort, cette belle salope, que je redoute, tant je les aime, tant je les chéris.

Andrée ? Belle âme parmi le peuple des enseignants, oui... belle âme sur terre.

Lhanne - Décembre 2012

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